Alors que Santiago, avec ses tours en verre et son réseau de transports en commun d’avant-garde, peut sembler moderne et minimaliste dans certains quartiers, si vous lui épluchez quelques couches d'histoire, les origines, parfois plus basses, de la ville commencent à se révéler. On peut trouver l’atmosphère vieille école de Santiago dans les picadas, les bars à vins traditionnels qui parsèment la ville en vendant des boissons pas chères, à associer à des plats abondants de viande et de pommes de terre. Cherchez le Terremoto, une combinaison d’un vin jeune appelé le pipeño avec une boule de crème glacée et quelques autres ingrédients. Certaines parties de la ville gardent l’architecture néo-classique du siècle dernier, qui s'inspirait du dix-neuvième siècle européen.
Il y a un ouvrage de ferronnerie complexe au Mercado Central de 1872, tandis que des quartiers comme Lastarria ou Bellas Artes ont des immeubles avec des façades en pierres et des réverbères en fer qui, même s’ils ont été restaurés ces dernières années, ressemblent fortement à ce qu’ils étaient il y a quelques décennies.
Au fur et à mesure que Santiago devient plus raffinée et contemporaine, la vieille ville devient de plus en plus obscure, comme les cafes con piernas, des cafés avec des serveuses vêtues de façon provocante, qui sont repoussés de plus en plus hors de la vue du public. Cependant si l’on sait remarquer les rues pavées bordées d’arbres du quartier Bellavista, on peut encore entrer dans le monde de Pablo Neruda, le poète et sénateur chilien qui a remporté le Prix Nobel de la littérature en 1971, et qui servait du vin à ses invités, chez lui, dans de simples verres colorés qu’il avait collectés dans tout le Chili et au cours de ses voyages à l’étranger.
Si vous vous retrouvez en train de boire un cocktail gigantesque appelé le Tremblement de terre, vous saurez qu’il y a forcément des ramifications. Le Terremoto a été inventé à la picada El Hoyo, qui veut dire « le trou », quand des reporters allemands, qui enquêtaient sur les effets d’un récent tremblement de terre, demandèrent quelque chose de rafraîchissant. Le serveur, Guillermo Valenzuela, mit une boule de crème glacée dans un verre de pipeño, un genre de vin de table non filtré doux et jeune, et sur ce les Allemands répondirent « Ça, c’est vraiment un tremblement de terre. » Le nom est resté, et El Hoyo, fondé en 1912 au sud de l’Estación Central, a eu d’un seul coup sa boisson célèbre, qui continue de lui amener des clients de partout dans la ville, qui restent pour goûter à des plats traditionnels Chiliens copieux, comme le pernil con papas (jarret de porc avec des pommes de terre à l’eau) ou la mechada (miche de pain). La recette typique du Terremoto mélange, dans un verre de 500 ml, de la glace à l’ananas, du pipeño et un soupçon d'apéritif comme le fernet. Des variantes peuvent mettre de la pisco ou de la licor de granadina (liqueur de grenade) au lieu du fernet. Dans la plupart des cas, après le premier verre vos jambes tremblent. Le deuxième verre, appelé Tremblement ou Réplique, est en général plus petit, comme on peut bien l’imaginer.
Le Café con Piernas, qui se traduit par « café aux jambes », est un genre d’endroit qui est en train de disparaître à Santiago. Le nom de ces établissements, qui se trouvent surtout dans le centre ville, doit son origine aux vêtements que portaient les serveuses quand elles servaient les clients.
Contrairement à l’image plutôt conservatrice qu’on se fait de Santiago, ces cafés existent depuis environ 1960. Le Café Haïti, le plus élégant de ce type, fut lancé comme un café-bar de style italien pour servir les hommes d'affaires sortant des immeubles de bureaux. Le café Haïti, situé dans une rue commerciale, reste le plus reluisant de ces cafés, marqué par ses fenêtres teintées et des lumières au néon, et il vend sa propre ligne de délicieux cafés. À l’intérieur, l’atmosphère est celle d’une disco avec musique de fond, avec la plupart de la clientèle qui vient pour pas plus de 10 ou 20 minutes pour siroter un de leurs célèbres espressos avant de retourner au travail.
Entre 1850 et 1875 le gouvernement recruta des milliers d’Allemands pour s’installer dans les provinces du Sud du Chili – ce qui a transformé la cuisine nationale au cours du siècle suivant. Un des plats qui donnent le meilleur exemple de cette influence est le crudo. Ce mot veut dire tout simplement « cru » ; ce plat est fait de viande de bœuf crue finement hachée, jus de citron et oignons hachés, que l'on dépose sur un morceau de pain blanc déjà coupé en tranches, avec une sauce au yaourt et à la mayonnaise. Un crudo chilien ressemble à un steak tartare, et tire son origine, fort probablement, du plat Allemand mett, qui utilise du porc au lieu du bœuf (l'élevage du bétail est courant dans la partie Sud du Chili, donc le plat a été adapté). L’endroit le plus célèbre où cette collation est servie est le comptoir du Café Haussmann, un pub de style allemand qui fut fondé à l’origine à Valdivia il y a plus de 50 ans, mais qui a aussi une succursale à Santiago, à Las Condes. Ce bar sert ses crudos avec des tranches d’un citron avec lequel on arrose la viande hachée, avec les bières de la maison et des sandwiches Chiliens classiques. On trouve aussi des crudos servis dans des cafés et des restaurants traditionnels dans la ville de Santiago, ainsi que dans des restaurants modernes, qui ont créé des variantes avec des ingrédients comme les fruits de l’Aristotelia macqui et des viandes de chevreuil.
Le célèbre poète lauréat du Prix Nobel et gastronome Pablo Neruda croyait que le vin avait plus de goût s'il était servi dans des verres colorés, qu'il utilisait pour servir ses amis, et que l'on peut voir en grand nombre dans sa maison-musée, La Chascona, qui prit son nom de celle qui était alors sa maîtresse (et devint plus tard sa femme), Matilde Urrutia, restée célèbre pour ses cheveux roux et bouclés. Neruda a vécu une vie de dîners et d’invités d’honneur, qui venaient manger et boire dans les salles colorées de sa maison fantaisie, qui était pleine d’objets d’art et de bric-à-brac, allant des portraits du muraliste Mexicain Diego Rivera aux bustes en bois sculptés à la main et aux coquillages recueillis sur la côte. L’architecture de sa maison, au pied du Cerro San Cristobal, dans le quartier bohème de Bellavista, s’inspirait de la mer, avec des pièces qui ressemblaient à des cabines de navire, des hublots, un comptoir construit avec le bois d’un navire français, et un salon qui ressemblait à un phare. Une des trois maison-musées du poète au Chili (les deux autres sont à Valparaiso et Isla Negra sur la côte), La Chascona, a maintenant un petit café et une boutique de souvenirs, qui servent de salles d’attente avant de faire la visite guidée de la propriété, une des plus grandes attractions de touristes à Santiago. www.fundacionneruda.org/en